Aquablue possède depuis quelques mois plusieurs actualités. Tout d'abord, les retrouvailles depuis plus d'un an du duo mythique créateur de la série : Cailleteau & Vatine. Ensuite l'arrivée d'un nouveau dessinateur : Siro. En outre, la création d'un second univers parallèle à la première série Aquablue et une nouvelle colorisation des anciens albums. Parlez-nous tout d'abord de ces retrouvailles qui, semble-t-il, vous ont procuré un tel plaisir ! Vatine : En fait, nous sommes de vieux potes de lycée. Nous avons connu une "crise de couple" à une époque. Nos parcours ont divergé mais, chacun, de notre côté, a continué à aimer les mêmes trucs en BD, cinéma, littérature et, finalement, on se retrouve environ 6 ans plus tard… Cailleteau : Nous n'étions pas d'accord sur l'avenir de la série Aquablue et notre différend au niveau du boulot a fini par dégénérer au niveau personnel. On le regrette tous les deux. Ce sont des histoires de copains. On se dit qu'on a été un peu con et que la solution était plutôt dans le compromis.. On a fini par trouver celui-ci ainsi qu'une façon de fonctionner. Sans bosser ensemble pendant 7 ans, on s'est aperçu que nous avions évolué très parallèlement, ayant lu les mêmes bouquins, vu les mêmes films,.. et été tous les deux directeur éditorial - Olivier chez Delcourt et moi chez Vents d'Ouest, ce qui nous a permis de rencontrer des problèmes d'auteurs.. et nous a aidé à relativiser les nôtres… Et la mayonnaise a repris dès que nous nous sommes remis à travailler ensemble ; les automatismes sont revenus... On s'est connu à 16 ans, on a appris à faire de la bd ensemble.. On fonctionne toujours aussi bien au niveau du travail, aussi intuitivement.. Nous sommes une équipe "dessinateur-scénariste" qui ne peut-être plus rodée. Finalement, on se connaît tellement bien qu'à nous deux, nous sommes presque un auteur complet qui ferait le scénario et le dessin. Aquablue est devenu une véritable référence. N'avez-vous pas l'impression qu'Aquablue ne vous appartient plus vraiment comme au début, tant par les attentes très fortes et très précises du public que celles de l'éditeur ? Vatine : Oui, sûrement. C'est un peu similaire aux attentes que nous avions sur "Valérian" à une époque, qui était une série épique au départ et qui a tourné sur un truc un peu "prise de tête intellectuelle". La mayonnaise a pris assez vite quand on a commencé Aquablue… Et vraisemblablement, les lecteurs attendent de nous ce que nous estimions être en droit d'attendre de Mézières et Christin à l'époque. À partir du moment où un truc devient populaire, chacun se l'approprie. Cailleteau : Au moment où l'on fait l'histoire, on essaie de garder fraîcheur et jubilation ; j'espère que cela se ressent, que ce soit dans ceux qu'on a faits à deux, dans ceux que j'ai faits avec Tota, ou celui qu'on fait maintenant.. On essaie de ne pas perdre le fil. On n'oublie pas les albums qui ont été faits avant, on ne veut pas les trahir. On n'a pas envie, justement en parlant de "Valérian", de ce changement radical qui a été fait dans "Valérian" au début des années 80 où le côté épique et exotique a été quelque peu arrêté pour aborder d'autres thématiques de Pierre Christin. C'est un choix qui leur appartient, mais moi, j'avais décroché de Valérian à ce moment-là. Finalement, on a peut-être voulu faire dans Aquablue ce qu'eux ne faisaient plus dans Valérian (rires). On est resté sur cette volonté et nous n'avons pas envie de changer. Pour répondre à la question de départ, je n'ai pas l'impression que la série nous échappe, même si effectivement le public se l'approprie énormément. C'est tout de même le but ! On écrit pour être lu par un maximum de gens. Ces derniers ont le droit de donner leurs avis. Il faut les écouter mais ne pas perdre le fil de sa trajectoire pour autant. Parce que, ce que les lecteurs demandent finalement - du fait qu'ils ne sont pas professionnels - c'est qu'on leur donne la même chose qu'avant mais pas tout à fait pareil… c'est une équation impossible à résoudre. Si on fait la même chose qu'avant, ils diront qu'on s'use et qu'on se répète, et si on ne fait pas pareil, ils vous diront que c'était mieux avant… Je pense que c'est une erreur de chercher à répondre à cette question, c'est du temps perdu. On est là pour séduire le public mais pas pour être à son service ; il faut le bousculer. Il faut justement lui proposer ce à quoi il n'a pas encore pensé, le surprendre ! En ce sens, la série continue à nous appartenir, parce qu'on essaie d'aller encore plus loin… C'est également une des raisons pour laquelle, à la fin du tome cinq, nous avons décidé de créer la fondation Aquablue pour quitter la planète. C'était justement pour ne pas tourner en rond sur ce monde-là. On nous l'a reproché et puis finalement les gens adhèrent et s'y font. On les amène ailleurs. Je crois que l'erreur aurait été de ronronner. Il fallait avoir le courage d'essayer autre chose. Vatine : Pour terminer sur l'appropriation du public, lorsque vous sortez de la vision du second film du "Seigneur des anneaux" en jurant contre Jackson parce qu'il n'aurait pas dû faire ceci ou cela, qu'à sa place, vous n'auriez pas fait la même chose… Même si son "Seigneur des anneaux" nous appartient un peu, finalement Peter Jackson s'en fout. Il fait son travail d'auteur, il a sa vision du truc.. Il en va un peu de même pour notre travail d'auteur sur Aquablue. Cailleteau : L'important est qu'on ait envie d'aller le revoir en sortant. Pourquoi ce choix de "splitter" Aquablue en deux séries. Comment vont-elles évoluer l'une avec l'autre ? Etait-ce un choix pour permettre le retour d'Olivier ? Vatine : Quant il a été question au départ de retravailler ensemble sur "Aquablue - canal historique", appelons-la comme ça, j'étais d'accord mais je ne voulais pas mettre Ciro (Tota) de côté. Il fallait trouver quelque chose qui lui convienne, c'est vrai qu'il a le feeling pour les trucs un peu plus "gamin". Cailleteau : Ciro n'a pas du tout été éjecté mais c'est toujours le problème des reprises de séries.. C'est parfois douloureux. Hérenguel, par exemple, n'a pas réussi à vivre avec "Ballade au bout du monde". D'autres, quant à eux, reprennent très bien des séries ; comme Franquin l'a magnifiquement fait avec Spirou, etc… Donc comme Herenguel, Tota, au bout d'un moment, ne se sentait plus bien dans la série. Il éprouvait un peu de lassitude après ces cinq albums réalisés, et en avait marre de l'aspect technologique de la science-fiction, marre de dessiner des vaisseaux.. On avait donc pris la décision de créer deux séries parallèle : "Fondation Aquablue" (Olivier, toute une équipe et moi) et "La Planète Aquablue" (Ciro Tota seul), cette dernière racontant les aventures du fils de Nao sur Aquablue, et étant véritablement axée sur la peuplade, les indigènes, etc… Au départ, Ciro Tota devait la reprendre seul et était content de ce choix. Mais voulant peut-être trop s'affranchir de la série, il a fini par lui donner un ton qui commençait vraiment à s'éloigner de l'esprit originel d'Aquablue, jouant davantage sur la sensibilité et beaucoup moins sur l'épique. Je pense que les lecteurs n'auraient pas suivi. Ce n'était plus de l'Aquablue. C'était autre chose, et tant qu'à faire, il valait peut-être mieux faire cette histoire sans écrire Aquablue dessus. Il a donc été question un moment que je reprenne cette histoire pour lui, avec un co-auteur. Ca l'a découragé. Il a eu une opportunité chez Soleil où il allait reprendre " Les conquérants de Troy", une série dérivée de Lanfeust avec Arleston. Donc, on réalisera quand même la série mais on cherche un dessinateur. Comment garder l'homogénéïté de l'univers tout en gardant l'indépendance des deux séries ? Vous avez déjà commencé le travail sur les deux séries en parallèle ? Cailleteau : Je travaille sur le scénario du 2 avec un co-scénariste qui a fait deux bouquins pour l'instant. Au départ, je vais l'encadrer en espérant à terme lui laisser son indépendance.. Mais ce "stage de formation Aquablue" est utile pour mieux lui faire connaître les personnages et l'univers de l'intérieur, pour qu'il puisse s'en servir à sa façon, plus tard. Il faut d'abord qu'il adhère au truc ; le but étant à moyen terme de le laisser en solo sur la série. Comment vous répartissez-vous les rôles sur la Fondation Aquablue ? Vatine : Thierry ; l'écriture comme d'habitude. Moi, c'est les story-boards et un peu de supervision artistique comme je fais sur la collection "série B" en ce moment, mais d'une manière plus investie. Ensuite, c'est Siro (Polka chez Dargaud), qui était très emballé dès le départ, qui a repris le dessin. Ma gêne, au départ, parce que je l'avais moi-même vécu en réalisant un comics "Star Wars", c'était ce côté "cahier des charges". Mais en même temps, si ce cahier des charges est intelligemment établi, je pense qu'on peut s'ébattre un peu à l'intérieur du truc et gagner sa liberté au fur et à mesure. Donc, on a brieffé Siro en lui disant qu'on serait un peu sur son dos pour le premier album, mais dès qu'il s'y sentirait à l'aise et réussirait à se l'approprier, on le laisserait volontiers voler de ses propres ailes. On ne veut pas non plus que cela devienne un boulot de commande. Coup de bol en plus, Siro était super fan de la série. Cailleteau : Bon, le tout après, ça a été de coordonner tout ce petit monde, ce qui n'est pas nécessairement évident. Avec Olivier, Siro, Fred Blanchard (design), Sandrine (coloriste) et moi, on est quand même une équipe de 5 personnes. Le but est d'être plus efficace, mais on s'est rendu compte que coordonner les planning de chacun était très complexe, on a mis quasi 2 ans pour faire ce 10ème album. On va donc se réorganiser un peu. Comment voyez-vous l'avenir de Nao, le voyez-vous un jour vieux ? Cailleteau : Non, comme Michel Vaillant, les héros ne vieillissent pas. Nous, on ne vieillit pas, donc Nao ne vieillira pas (rires). Eternel, alors ? Cailleteau : On peut y croire, pour Nao en tout cas. Le problème lorsqu'on fait vieillir un personnage de BD, c'est qu'il n'y a pas de retour en arrière possible. Et le fait de placer à côté de lui d'autres personnages qui pourraient co-exister au niveau de la série ne m'attire pas trop. Déjà qu'on lui a fait un enfant, on le fera vivre en séparant la série en deux… mais en réalité, je peux vous le dire tout de suite, il va être un mauvais père. Il ne va jamais être avec sa femme et son enfant. Il est parti pour avoir des aventures parce qu'un père de famille ne fait pas un bon héros de bande dessinée. Un Thorgal de science-fiction ? Cailleteau : Heu, je ne sais pas. A ma grande honte, je n'ai jamais lu d'album de Thorgal. Vatine : Disons plutôt : Buddy Longway fait du vaisseau, si tu vois ce que je veux dire (rires) Cailleteau : Il faut qu'il reste un héros "épique". Je pense que s'il fonctionne, c'est parce que c'est un personnage auquel on a envie de s'identifier quand on est adolescent. Et quand on est ado, on ne s'identifie pas à un père de famille. En tous les cas dans la série, il sera peu présent comme père, trop pris par son boulot.. Ca ne m'étonnerait pas d'ailleurs que Mi-Nuee le largue. (rires) Il serait envisageable de créer d'autres séries parallèles à Aquablue, justement pour permettre à certains personnages secondaires de faire leur vie ? Cailleteau : Oui, à condition de toujours les maîtriser parce que, même si on travaille toujours avec un grande équipe, on veut rester dans une logique d'artisanat. Nous ne souhaitons pas partir dans tous les sens, c'est là que la série pourrait vraiment nous échapper. On a effectivement des idées de développements éventuels de la série à côté.. Par exemple, on a des copains dessinateurs qui nous disent qu'ils souhaiteraient faire UN Aquablue, pour essayer. Alors, des albums Aquablue avec des "guest stars", ça pourrait être amusant et intéressant de façon ponctuelle. Mais pour l'instant, on prend nos projets en chantier les uns après les autres. On recrée une relation de travail en refaisant un album tous les deux. On a une série parallèle avec le fils de Nao, on met d'abord tout ça sur les rails, et ensuite on passera à la deuxième étape. Allez-vous conserver le modèle des aventures en deux albums ou il n'y a pas de règle ? Cailleteau : Il n'y a pas de règle. À priori, c'est une formule qui marche bien. Quand on a fait le premier cycle en cinq albums, on a mis des années à le terminer et, à la fin, l'histoire sentait le réchauffé ; on la connaissait depuis trop longtemps, il n'y avait plus la motivation de la nouveauté… Vatine : Vu la thématique du premier cycle, on aurait pu la traiter en deux ou trois albums. Aquablue a été monté un peu par accident et dans l'urgence. On savait très bien ce qu'on avait envie de raconter dans le tome 1 : une thématique écolo, une histoire de colonisation, etc.. c'était vraiment le sujet du premier. Mais c'était plus flou pour la suite, on a un peu perdu le fil sur le 2, on y est revenu tout doucement sur le 3 et définitivement sur le 4 et le 5. Mais donc une thématique peut être traité en deux ou trois bouquins… Cailleteau : Le fait de travailler sur des histoires complètes en deux albums permet de ne pas s'engluer dans de longues histoires interminable où la fin finit par perdre sa fraîcheur et sa spontanéité. Travailler sur deux albums permet de faire une histoire plus dense, et le lecteur, de son côté, ne doit pas attendre 5, 6 ou 7 ans pour avoir une histoire complète. Thierry, vous avez encore des angoisses de la page blanche ? Cailleteau : A chaque fois. Quand je vois des scénaristes productifs qui pondent douze albums par an, je suis malheureux mais je les envie. Moi, je ne peux pas. Chaque fois que je commence à travailler, chaque jour quand je prends mon crayon, j'ai l'impression que je ne sais plus travailler, que je n'y arriverai pas.. et ca peut prendre d'un quart d'heure à deux heures à chaque fois… et puis d'un coup, ça se débloque, et alors je m'amuse.. mais à chaque fois, tous les jours, c'est douloureux. J'envie des scénariste comme Morvan, Yann,.. qui accumulent les séries ; moi, j'en suis incapable. Qu'est ce qui vous angoisse le plus : commencer l'histoire ou la finir ? Cailleteau : C'est les deux. A chaque fois que je redémarre une histoire, tous les jours, à chaque moment, j'ai l'impression que je ne sais plus bosser . Vatine : Moi c'est le contraire. Je suis déjà en train de délirer sur les trucs que je pourrais faire dans cinq ans, mais je suis tellement bordélique et mal organisé, il faudrait déjà que je commence les projets que j'ai mis en chantier (rires). Il y a un côté un peu boulimique dans ma manière de travailler. L'angoisse de la page blanche se prête plutôt sur des boulots d'illustrations, des trucs ponctuels ou à réaliser dans l'urgence, comme pour la presse.. Mais pas sur ce que j'ai envie de faire en bd, non. Je sais déjà ce que je pourrais faire dans 10 ans. Que devait apporter la nouvelle colorisation à la série ? Vatine : Déjà de belles couleurs (rires). Je ne suis pas satisfait de mon dessin de l'époque. C'est Thierry qui avait pris en charge les couleurs à l'époque ; on démarrait et on devait gagner notre vie. Le poste du dessinateur étant un peu mieux payé que celui du scénario, ca allait pour moi, mais Thierry avait pris la couleur pour gagner un peu d'argent en plus… Les mêmes expériences en couleur que j'ai pu avoir à l'époque, genre le premier "Fred et Bob", étaient loin d'être convaincantes parce que c'était un peu entre deux chaises, entre l'illustration un peu chiadée, pleines d'effets… En fait, la couleur de bd doit plutôt être synthétique, avec des effets de réels à droite à gauche, mais pas partout dans la page, pour faire des trucs kitch. Du coup, bien sûr, les couleurs n'étaient pas à la hauteur. Et mes dessins non plus, d'ailleurs… Avec le recul, avez-vous l'impression d'avoir fait des erreurs ? Vous relisez avec plaisir vos premiers albums ? Vatine : Il y a une fraîcheur mais en même temps, il y a de grosses lacunes, mais heureusement qu'on s'en aperçoit (rires). Cailleteau : On adorerait avoir le temps et la possibilité de faire comme Hergé et de les recommencer intégralement, de pouvoir les redessiner et les réécrire complètement. Le premier Aquablue, qui est maintenant réédité, est un album qui a quinze ans et qui a eu la chance de ne pas avoir fait une carrière de trois mois comme nouveauté pour disparaître après. Il continue à se vendre régulièrement 15 ans plus tard, c'est à dire que de nouveaux lecteurs découvrent encore et toujours la série. Cet album est toujours vivant. Puisque réédité régulièrement, on s'est dit pourquoi ne pas changer quelques trucs à la prochaine réédition. Vous pensez capter un nouveau public de cette manière ? Cailleteau : Apparemment c'est un succès ! Vatine : On avait déjà le nouveau public puisque le bouquin est réimprimé régulièrement, mais il fallait remettre le truc au goût du jour. C'est un peu comme la différence entre une VHS et un DVD. Techniquement, il fallait remettre le bouquin à niveau,… Avec tous les moyens techniques, informatique, etc.. il aurait été dommage de ne pas en profiter. De ce point de vue, la mise en couleur numérique s'imposait. En même temps, c'était un peu un défi pour les coloristes qui devaient à la fois respecter un certain "cahier de charge", rester fidèle à la série, faire mieux qu'avant et amener un espèce d'introduction au travail d'Isabelle sur le 3, mais qui va sûrement finir par être démodé aussi un jour (rires). La roue tourne, il faut assurer la pérennité de la série. Cailleteau : En fait, on commençait à avoir un peu honte de certains aspects du bouquin, qui commençaient à devenir un peu vieux. On n'en voyait plus que les défauts.. et donc, quinze ans après, avec l'expérience, et à défaut de ne pouvoir recommencer l'album en entier, cette mise en couleur a néanmoins permis de l'améliorer et de lui donner un meilleur aspect. On se sent mieux, plus fiers de l'album sous cette forme-là. C'était l'objectif de départ de la démarche. Ensuite, effectivement, si l'on regarde l'aspect plus commercial et opportuniste, il y avait en outre un nouveau lecteur à conquérir.. et les éditions Delcourt ont bien fait leur boulot On va ainsi essayer de garder les bouquins vivants dans le temps, et refaire également quelques unes des couvertures. Quelques mots sur le nouvel album ?… Cailleteau : Après l'eau, le sable puisqu'en ce moment, on change de planète à chaque histoire. C'est notre hommage à Indiana Jones, Laurence d'Arabie et Jules Verne, ainsi que toutes les histoires d'explorateurs et d'Egyptologie. Que vous a apporté à chacun votre expérience de directeur de collection ? Cailleteau : La tolérance envers les éditeurs. Avant, j'étais auteur et intransigeant avec mes éditeurs parce que je ne les comprenais pas - ni eux ni leurs problèmes - et je pensais qu'ils ne comprenaient pas les miens. Donc le dialogue n'était pas toujours évident. J'ai donc pu voir les deux facettes et, à l'arrivée, je me rends compte que le boulot d'éditeur n'est pas facile, je demande donc moins de choses à mes éditeurs mais plus fermement. Je pense savoir ce qu'ils peuvent se permettre... avant, je mélangeais tout. Ca permet d'avoir l'esprit plus ouvert et de mieux comprendre tout ce qu'il y a autour du livre, et qui ne tourne pas seulement autour de la création. Il y a des équipes de gens, une entreprise, et que les paramètres qui touchent à la grande diffusion comme la bande dessinée doivent être intégrées dans les considérations des auteurs. Et puis les problèmes d'auteurs dont je m'occupais comme directeur éditorial m'ont permis de mettre en perspective mes propres problèmes avec mes autres dessinateurs notamment avec Olivier (Vatine) . J'ai néanmoins décidé d'interrompre l'expérience parce que ça me prenait beaucoup de temps et je voulais à nouveau me consacrer entièrement à mes bd et non plus à celles des autres.
Vatine : Je continue mon boulot de directeur de collection qui prend pas mal le pas sur mes activités de bd. Tout comme Thierry, c'est un peu une mise en perspective de tout le processus donc du coup, avec du recul, ça permet d'être un peu plus cool et puis ça m'a fait prendre conscience de bon nombre de mes contradictions. Par exemple, en général, si je demande au dessinateur d'être régulier c'est à peu près le contraire de ce que j'ai pu faire à une certaine époque et j'ai la honte, ce que certains ne s'empêchent bien entendu pas de me faire remarquer. Sinon, le travail éditorial me plaît et je pense qu'il n'y a rien de mieux qu'un auteur pour faire un directeur de collection. C'est un peu comme dans le cinéma hollywoodien dans les années avant- et après-guerre où les producteurs étaient capables de finalement maîtriser tous les stades de la production genre : le réalisateur tombait malade, le mec pouvait prendre la caméra et diriger les comédiens et c'est le genre de truc qui sécurise les auteurs. On peut faire un rôle de tampon entre eux et l'éditeur… pour mieux justifier les retards, mettre en avant les côtés positifs du boulot. Il y a plein d'auteurs avec qui on bosse qui se sentent vachement plus confortables d'avoir des auteurs comme interlocuteur. Thierry, comment s'est déroulée la passassion avec Jean Van Hamme sur Wayne Shelton ? Cailleteau : C'était pour moi un honneur et un défi que Jean Van Hamme ait songé à moi pour poursuivre sa série. Il est clair qu'on ne le présente plus, c'est une référence. Il fallait ensuite que je sois à la hauteur de ses attentes, et reprendre ses personnages sans les trahir. Il fallait ensuite que je les fasse évoluer un peu selon mon moule, m'adapter à eux mais aussi faire de Shelton mon ami pour que je puisse l'aimer et avoir envie de l'animer. Après avoir beaucoup discuté au début avec Jean Van Hamme, qui est quelqu'un de très ouvert, des zones de creux des deux premiers albums de Shelton - en effet, l'action de la série, tellement complexe et envahissante, laissait finalement peu d'espace aux personnages en dehors des actions motrices pour exprimer leurs personnalités, ce qui rendait notamment Shelton un peu froid et distant.. On a donc discuté des zones où l'on pouvait, sans le transformer, lui donner de l'humanité. On a un peu travaillé ensemble sur le premier (le T. 3) afin de m'adapter au personnage, mais il s'est complètement retiré ensuite. Il a été très respectueux de mon travail. Par correction, je lui avais envoyé le scénario du suivant, il y a fait quelques petites remarques, mais il n'est plus co-auteur. Il reste néanmoins le parrain de la série. La collaboration s'est donc bien passée tant avec Van Hamme qu'avec Christian Denayer, qui est quelqu'un de tout à fait charmant. Il a fallu se faire chacun au caractère de l'autre, mais il n'y a eu aucun problème. Merci beaucoup. Participez au concours sur BD
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