![](/empty.gif) |
|
"Créatrices de
bande dessinée" par Dimitri F. |
Je
prends à peine quelques minutes et je me rends tout doucement compte que
je m'apprête à attaquer un gros morceaux. Prendre comme sujet les femmes
dans la bande dessinées risque de me plonger dans une étude assez conséquente.
Je ne voudrais nullement faire un soi disant catalogue raisonné dans lequel
on trouverait en première page, Algésiras
et Wendling
en dernière. J'écume quelques catalogues et me voilà avec une vingtaine
de noms différents. Tantôt scénaristes, tantôt dessinatrices, de tendances
et de graphismes parfois opposés, elles sont présentes à tous les échelons
de la création. Mais, soyons clair dès le départ pour le sujet. Je n'entame
ni une quelconque recherche de l'héroïne dans la bande dessinée et encore
moins un sujet quelque peu racoleur du style : "Erotisme et sexe
dans la BD" ou plus intellectuellement parlant "Interprétation
symbolique et freudienne de l'imagerie féminine à travers un support ludique
communément appelé petits mickeys". Je vous le dit tout de go, pas
question ! La thématique de cet article serait plutôt ce que l'auteur
de bande dessinée féminin véhicule comme idée, comme message à travers
un support qui fait la part belle au genre masculin. Hé oui, quoiqu'on
en dise encore aujourd'hui, la femme reste minoritaire dans la bande dessinée.
Cette présence féminine ne date pourtant pas d'hier me direz-vous ! Vous
avez raison.
En
tout bien, tout honneur. Commençons par les Montellier,
Brétecher,
Goetzinger
et autres Cestac
qui depuis des années nous promènent dans des récits tantôt réalistes,
tantôt humoristiques. Cestac qui, rappelons-le, a remporté le Grand Prix
de la ville d'Angoulême 2000. Titre Ô combien honorifique et méritoire
décerné par ses pairs. Je ne pouvais, ni ne voulais, passer sous silence
ces quelques pionnières qui, à leur manière, ont certainement contribué
à donner au genre quelques lettres de noblesse. Les Humanoïdes Associés
avaient créés fin des années 70, début 80 une revue portant le doux nom
de « Ah ! Nana » dans laquelle nous pouvions trouver des histoires dessinées
et scénarisées par des femmes uniquement. Projet qui avortera après seulement
quelques rares numéros. Petite brèche dans laquelle vont s'engouffrer
de nouvelles créatrices au talent maintenant confirmé.
Ecole
d'Angoulème, creuset propice du monde bédéesque, voit l'émergence de Claire
Wendling,
femme au talent incroyable. Dessinatrice hors-pair dont "Les
Lumières de L'Amalou" émerveille et renouvelle le genre. Un monde
fantastique créé par Gibelin qui mettra en avant une pléiade de personnages
plus attachants les uns que les autres. Graphiquement, c'est une gifle.
Le
dessin, la mise en page, les décors sont tout simplement sublimes. Une
étoile apparaît. Dans un registre plus "malédiction", Viviane
Nicaise
nous propose l'histoire d'une jeune fille qui porte en elle le sang des
douleurs ancestrales et familiales, le sang du Renard. Ana Mirallès travaille
sur un thème similaire, tout en plantant son décors en Amérique du Sud,
régions où règnent la religion Vaudou. Mais l'une et l'autre mettent en
avant le pouvoir et les artifices de l'amour capable de tuer plus certainement
que n'importe quelle arme.
Dans
un univers plus gothique graphiquement, Béatrice Tillier
donne vie à un automate capable d'éprouver l'amour le plus sincère pour
un de ses semblables. "Fée
et tendres automates" s'inscrit dans une quête amoureuse qui
semble impossible à atteindre. L'amour naît parfois d'une rose noire.
Le chemin qui conduira notre automate en est jonché. Béatrice nous promène
dans des décors dignes du 19è siècle où Art Nouveau et Art Déco se taillent
la part du lion. Un flamboiement de couleurs servant au mieux le scénario
de Tehy. Plus onirique, Florence Magnin
propose à ses lecteurs de passer dans "L'autre Monde". Rappelant
l'univers d'Alice au pays des Merveilles, le récit nous montre une autre
réalité. Même si son héros, Jan Verne, tombé du ciel est pris pour une
bête curieuse et pense sérieusement devenir fou. Forcément, il lui semble
voyager dans un rêve. Il approchera le palais des sirènes, discutera avec
la Mort et le Père Noël pour s'entendre dire que les dieux ont tous disparu,
le Grand Horloger aussi. Heureusement, le bout du tunnel pour Jan se prénomme
Blanche, une jolie jeune fille qui lui montrera un nouvel avenir. Couleur
directe pour Florence, très beau récit écrit par Rodolphe pour Dargaud.
Poursuivons,
poursuivons… Vous présentez Algésiras
est, pour moi, un réel bonheur. Cette foi-ci, l'auteur se soucie à la
fois de l'histoire et du dessin. "Candélabres",
le nom de sa série, est à chaque fois un émerveillement. Une aventure
douce-amère où les réminiscences d'un jeune danseur se heurtent au monde
fantastique. La rencontre de ce jeune héros très sensible avec un être
appelé Soledango, digne représentant d'une caste qui détient le pouvoir
sur le feu. Une recherche de la vérité qui ouvrira nécessairement des
portes dans un univers que l'on pensait éteint. Dans
notre registre "femme qui fait tout", je ne peux oublier Séraphine
et son Long Courrier "Ascension"
où nous pourrons suivre les périples d'une jeune fille qui ne rêve que
d'une seule chose : voler. Chronique d'une vie paysanne qui montre le
passage de notre héroïne à une vie d'adulte, avec tous ce que cela comporte
comme sacrifice. Je pourrais encore vous parler de Dominique David,
Chantal de
Spiegeleer. J'en oublie certainement. Qu'elles daignent pardonner
leur humble serviteur.
Quand
je vous disais que les créatrices se retrouvent à tous les échelons de
la bande dessinée, je ne pouvais faire fi de celle plus ciblée jeunesse.
Pour l'instant, Delcourt se fait une sérieuse place et bouscule quelque
peu Dupuis. Que ce soit des adaptations de contes ou des histoires inédites,
de plus en plus d'albums voient le jour. En parlant de bande dessinée
"jeunesse", on pourrait presque la qualifiée de "enfantine"
sans pour autant sombrer dans l'abrutissement. C'est le cas de Revel
et Chicault. La première nous présente un diablotin qui fait office d'ange
gardien pour une orpheline, la seconde travaille plus les stéréotypes
du conte et nous promène dans l'univers de Grimm. Présente aussi au-devant
de la scène, la scénariste attitrée de Frank Le
Gall et ses "Barbutins",
Irène Colas.
Entre le lutin vert qui attrape une terrible rhino-pharyngite alors que
Noël approche à grand pas et une chasse au trésor sur l'île Kilikili,
Irène permet à chaque enfant-lecteur de participer à de petites activités
ludiques à l'intérieur même du support. Un double livre en quelque sorte.
Que du beau, je vous le dit, que du beau !
Je
clôture mon étude que je ne voulais pas "qu'elle soit une étude"
par un petit clin d'œil au monde de la bande dessinée indépendante. Hé
oui, je ne peux point faire sans. En tout bien, tout honneur je commencerais
par Gabriella Giandelli, et son récit en couleur directe intitulé : "Silent
Blanket". Récit plus intimiste, Gabriella nous présente une brochette
de personnages vivant tous dans un même immeuble. Un enchevêtrement de
vie, un regard et des actes de la vie quotidienne qui conduisent les protagonistes
à de situations relationnelles inextricables. Une réussite graphique autant
que scénaristique pour cette jeune italienne de Milan. Chez l'Association
, nous trouvons Julie Doucet et son insulte typiquement québécoise à connotation
religieuse « Ciboire de Criss ! ». Courts récits oniriques dans lesquels
l'auteur nous fait partager de drôles de rêves. Un jour elle se réveille
avec un zizi, le lendemain ; enceinte d'un chat. Un
sujet plus délicat, l'inceste, est traité par l'américaine Debbie Dreschler
et son "Daddy's
Girl". Le mode est autobiographique. Œuvre sensible et troublante
à la fois. Il est impossible de sortir indemne du récit tellement la révolte
est présente sans pour autant être lourde. Un morceau d'anthologie. Passons
les frontières et allons voir ce qui se passe du côté de l'Est. Une jeune
dessinatrice suisse-allemande nous présente un fameux « Remue-ménage »,
il s'agit de Anna Sommer. Une bande dessinée sans texte et sans case nous
proposant plusieurs portraits de femmes. De drôle de saynètes où nous
découvrirons la femme du douanier, celle de l'éboueur ou encore la concubine
du chasseur. Que d'auteurs, que d'auteurs. Evidemment que j'en oublie
quelques unes. Et Edith me direz-vous ? Et Claveloux ? Et… Qu'elles me
pardonnent. Je ne peux toutes les citer.
Pour
en revenir au postulat de départ, les thèmes exploités par la gent féminine
est tout aussi vastes que ceux exploités par son homologue masculin. L'utilité
de cette démarche ne réside qu'en une seule chose : rendons à César ce
qui lui appartient et à la femme dans la bande dessinée itou. La place
que prennent ces créatrices est primordiale, essentielle, car si elles
transmettent des thèmes parfois existants, la manière de transmission
est tout simplement différente. Donnez un même scénario à deux personnes
et déjà un autre regard sur les événements, une analyse plus sensible,
des centres d'intérêt divergeants feront que l'histoire paraîtra distincte.
Partant de l'idée que la bande dessinée est un moyen (ou outil ? Mais
c'est un autre débat.) qui permet de transmettre et de faire partager
des idées à l'aide de textes (parfois) et de dessins (souvent), cette
dernière a certainement plus à gagner si les points de vue sont aussi
larges que son traitement graphique. Si l'originalité ne peut venir que
de la pluralité, nul doute que le but est atteint. Point final.
Par Dimitri F.
Images Copyrights © Wendling - Editions
Delcourt 2000
Images Copyrights © Cestac - Editions Dargaud 2000
Images Copyrights © Nicaise & Dufaux - Editions Glénat 2000
Images Copyrights © Tillier & Téhy - Editions Vents d'Ouest
2000
Images Copyrights © Algésiras - Editions Delcourt 2000
Images Copyrights © Séraphine - Editions Dargaud 2000
Images Copyrights © Revel & Filippi - Editions Delcourt 2000
Images Copyrights © Giandelli - Editions du Seuil 2000
Images Copyrights © Dreschler - L'Association 2000
Images Copyrights © Goetzinger & Christin - Editions Dargaud 2000
|
|