Je prends à peine quelques minutes et je me rends tout doucement compte que je m'apprête à attaquer un gros morceaux. Prendre comme sujet les femmes dans la bande dessinées risque de me plonger dans une étude assez conséquente. Je ne voudrais nullement faire un soi disant catalogue raisonné dans lequel on trouverait en première page, Algésiras et Wendling en dernière. J'écume quelques catalogues et me voilà avec une vingtaine de noms différents. Tantôt scénaristes, tantôt dessinatrices, de tendances et de graphismes parfois opposés, elles sont présentes à tous les échelons de la création. Mais, soyons clair dès le départ pour le sujet. Je n'entame ni une quelconque recherche de l'héroïne dans la bande dessinée et encore moins un sujet quelque peu racoleur du style : "Erotisme et sexe dans la BD" ou plus intellectuellement parlant "Interprétation symbolique et freudienne de l'imagerie féminine à travers un support ludique communément appelé petits mickeys". Je vous le dit tout de go, pas question ! La thématique de cet article serait plutôt ce que l'auteur de bande dessinée féminin véhicule comme idée, comme message à travers un support qui fait la part belle au genre masculin. Hé oui, quoiqu'on en dise encore aujourd'hui, la femme reste minoritaire dans la bande dessinée. Cette présence féminine ne date pourtant pas d'hier me direz-vous ! Vous avez raison. En tout bien, tout honneur. Commençons par les Montellier, Brétecher, Goetzinger et autres Cestac qui depuis des années nous promènent dans des récits tantôt réalistes, tantôt humoristiques. Cestac qui, rappelons-le, a remporté le Grand Prix de la ville d'Angoulême 2000. Titre Ô combien honorifique et méritoire décerné par ses pairs. Je ne pouvais, ni ne voulais, passer sous silence ces quelques pionnières qui, à leur manière, ont certainement contribué à donner au genre quelques lettres de noblesse. Les Humanoïdes Associés avaient créés fin des années 70, début 80 une revue portant le doux nom de « Ah ! Nana » dans laquelle nous pouvions trouver des histoires dessinées et scénarisées par des femmes uniquement. Projet qui avortera après seulement quelques rares numéros. Petite brèche dans laquelle vont s'engouffrer de nouvelles créatrices au talent maintenant confirmé. Ecole d'Angoulème, creuset propice du monde bédéesque, voit l'émergence de Claire Wendling, femme au talent incroyable. Dessinatrice hors-pair dont "Les Lumières de L'Amalou" émerveille et renouvelle le genre. Un monde fantastique créé par Gibelin qui mettra en avant une pléiade de personnages plus attachants les uns que les autres. Graphiquement, c'est une gifle. Le dessin, la mise en page, les décors sont tout simplement sublimes. Une étoile apparaît. Dans un registre plus "malédiction", Viviane Nicaise nous propose l'histoire d'une jeune fille qui porte en elle le sang des douleurs ancestrales et familiales, le sang du Renard. Ana Mirallès travaille sur un thème similaire, tout en plantant son décors en Amérique du Sud, régions où règnent la religion Vaudou. Mais l'une et l'autre mettent en avant le pouvoir et les artifices de l'amour capable de tuer plus certainement que n'importe quelle arme. Dans un univers plus gothique graphiquement, Béatrice Tillier donne vie à un automate capable d'éprouver l'amour le plus sincère pour un de ses semblables. "Fée et tendres automates" s'inscrit dans une quête amoureuse qui semble impossible à atteindre. L'amour naît parfois d'une rose noire. Le chemin qui conduira notre automate en est jonché. Béatrice nous promène dans des décors dignes du 19è siècle où Art Nouveau et Art Déco se taillent la part du lion. Un flamboiement de couleurs servant au mieux le scénario de Tehy. Plus onirique, Florence Magnin propose à ses lecteurs de passer dans "L'autre Monde". Rappelant l'univers d'Alice au pays des Merveilles, le récit nous montre une autre réalité. Même si son héros, Jan Verne, tombé du ciel est pris pour une bête curieuse et pense sérieusement devenir fou. Forcément, il lui semble voyager dans un rêve. Il approchera le palais des sirènes, discutera avec la Mort et le Père Noël pour s'entendre dire que les dieux ont tous disparu, le Grand Horloger aussi. Heureusement, le bout du tunnel pour Jan se prénomme Blanche, une jolie jeune fille qui lui montrera un nouvel avenir. Couleur directe pour Florence, très beau récit écrit par Rodolphe pour Dargaud. Poursuivons, poursuivons… Vous présentez Algésiras est, pour moi, un réel bonheur. Cette foi-ci, l'auteur se soucie à la fois de l'histoire et du dessin. "Candélabres", le nom de sa série, est à chaque fois un émerveillement. Une aventure douce-amère où les réminiscences d'un jeune danseur se heurtent au monde fantastique. La rencontre de ce jeune héros très sensible avec un être appelé Soledango, digne représentant d'une caste qui détient le pouvoir sur le feu. Une recherche de la vérité qui ouvrira nécessairement des portes dans un univers que l'on pensait éteint. Dans notre registre "femme qui fait tout", je ne peux oublier Séraphine et son Long Courrier "Ascension" où nous pourrons suivre les périples d'une jeune fille qui ne rêve que d'une seule chose : voler. Chronique d'une vie paysanne qui montre le passage de notre héroïne à une vie d'adulte, avec tous ce que cela comporte comme sacrifice. Je pourrais encore vous parler de Dominique David, Chantal de Spiegeleer. J'en oublie certainement. Qu'elles daignent pardonner leur humble serviteur. Quand je vous disais que les créatrices se retrouvent à tous les échelons de la bande dessinée, je ne pouvais faire fi de celle plus ciblée jeunesse. Pour l'instant, Delcourt se fait une sérieuse place et bouscule quelque peu Dupuis. Que ce soit des adaptations de contes ou des histoires inédites, de plus en plus d'albums voient le jour. En parlant de bande dessinée "jeunesse", on pourrait presque la qualifiée de "enfantine" sans pour autant sombrer dans l'abrutissement. C'est le cas de Revel et Chicault. La première nous présente un diablotin qui fait office d'ange gardien pour une orpheline, la seconde travaille plus les stéréotypes du conte et nous promène dans l'univers de Grimm. Présente aussi au-devant de la scène, la scénariste attitrée de Frank Le Gall et ses "Barbutins", Irène Colas. Entre le lutin vert qui attrape une terrible rhino-pharyngite alors que Noël approche à grand pas et une chasse au trésor sur l'île Kilikili, Irène permet à chaque enfant-lecteur de participer à de petites activités ludiques à l'intérieur même du support. Un double livre en quelque sorte. Que du beau, je vous le dit, que du beau ! Je clôture mon étude que je ne voulais pas "qu'elle soit une étude" par un petit clin d'œil au monde de la bande dessinée indépendante. Hé oui, je ne peux point faire sans. En tout bien, tout honneur je commencerais par Gabriella Giandelli, et son récit en couleur directe intitulé : "Silent Blanket". Récit plus intimiste, Gabriella nous présente une brochette de personnages vivant tous dans un même immeuble. Un enchevêtrement de vie, un regard et des actes de la vie quotidienne qui conduisent les protagonistes à de situations relationnelles inextricables. Une réussite graphique autant que scénaristique pour cette jeune italienne de Milan. Chez l'Association , nous trouvons Julie Doucet et son insulte typiquement québécoise à connotation religieuse « Ciboire de Criss ! ». Courts récits oniriques dans lesquels l'auteur nous fait partager de drôles de rêves. Un jour elle se réveille avec un zizi, le lendemain ; enceinte d'un chat. Un sujet plus délicat, l'inceste, est traité par l'américaine Debbie Dreschler et son "Daddy's Girl". Le mode est autobiographique. Œuvre sensible et troublante à la fois. Il est impossible de sortir indemne du récit tellement la révolte est présente sans pour autant être lourde. Un morceau d'anthologie. Passons les frontières et allons voir ce qui se passe du côté de l'Est. Une jeune dessinatrice suisse-allemande nous présente un fameux « Remue-ménage », il s'agit de Anna Sommer. Une bande dessinée sans texte et sans case nous proposant plusieurs portraits de femmes. De drôle de saynètes où nous découvrirons la femme du douanier, celle de l'éboueur ou encore la concubine du chasseur. Que d'auteurs, que d'auteurs. Evidemment que j'en oublie quelques unes. Et Edith me direz-vous ? Et Claveloux ? Et… Qu'elles me pardonnent. Je ne peux toutes les citer. Pour en revenir au postulat de départ, les thèmes exploités par la gent féminine est tout aussi vastes que ceux exploités par son homologue masculin. L'utilité de cette démarche ne réside qu'en une seule chose : rendons à César ce qui lui appartient et à la femme dans la bande dessinée itou. La place que prennent ces créatrices est primordiale, essentielle, car si elles transmettent des thèmes parfois existants, la manière de transmission est tout simplement différente. Donnez un même scénario à deux personnes et déjà un autre regard sur les événements, une analyse plus sensible, des centres d'intérêt divergeants feront que l'histoire paraîtra distincte. Partant de l'idée que la bande dessinée est un moyen (ou outil ? Mais c'est un autre débat.) qui permet de transmettre et de faire partager des idées à l'aide de textes (parfois) et de dessins (souvent), cette dernière a certainement plus à gagner si les points de vue sont aussi larges que son traitement graphique. Si l'originalité ne peut venir que de la pluralité, nul doute que le but est atteint. Point final. Par Dimitri F. Images Copyrights © Wendling - Editions
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